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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/352

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

phaéton léger la transportèrent au camp de Menin, où elle commença par s’enquérir du général Biron, pour qui elle avait plusieurs lettres. — Il y a à Versailles un portrait du général duc de Biron ; la tête est bien posée, un peu froide au premier aspect, mais élégante et de grand air ; l’œil et la bouche s’accordent pour exprimer la finesse et la circonspection ; les cheveux sont poudrés. Lorsque Suzanne se présenta devant lui, elle était vêtue d’une amazone de drap bleu à ceinture tricolore ; un chapeau de castor s’inclinait sur son oreille ; elle avait une petite badine à la main. Le duc de Biron n’était pas devenu tellement citoyen qu’il ne sentît encore battre son cœur à la vue d’une jolie femme ; les traditions de l’Œil-de-Bœuf perçaient de temps en temps sous son uniforme de général des armées de la République. Il accueillit Suzanne avec une grâce parfaite, et il poussa même la complaisance jusqu’à se rappeler l’avoir vue demoiselle. Le général était bien fait, spirituel, aimable comme un grand seigneur ; en un mot, il avait tout ce qu’il faut pour plaire, — il plut.

Pauvre Quillet !

Pauvre Quinette !

Pauvre Hérault de Séchelles !

Mais pourquoi faut-il que la guerre soit l’ennemie la plus cruelle de l’amour ? Des rencontres sanglantes venaient souvent distraire le général Biron de sa nouvelle conquête.

Un matin, Suzanne, qui s’était endormie la veille chez les Français, se réveilla chez les Autrichiens ; dans la nuit, le camp avait changé de maîtres. Suzanne eut une peine infinie à se tirer saine et sauve