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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/356

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

ment. Je suis trop vieux pour être votre amant, vous êtes trop jeune pour être ma femme. Jouissez de tout ce que vous méritez. Je vous vois tous les jours d’Opéra, je vous rencontre aux Champs-Élysées et aux Tuileries ; quand ce n’est pas assez pour moi, je fais le tour de votre maison et je m’en retourne satisfait. Si vous voulez me rendre le plus content possible, faites de temps en temps une révérence en entrant dans votre loge, comme si vous aperceviez quelqu’un de connaissance : j’aurai du moins la certitude que vous vous occupez de moi cinq à six minutes par semaine : cela n’est pas exigeant. »

Qu’on songe que cette lettre, où se retrouvent toute la générosité de sentiments et toute l’élégance du dix-huitième siècle, était écrite en plein 92 !

Ce bonheur délicat dura trop peu : une nuit, ce mystérieux protecteur dont, à force de manœuvres secrètes, elle était parvenue à connaître le nom, fut arrêté et conduit provisoirement à la mairie, où la quantité de victimes entassées le suffoqua à un tel point qu’il expira sur l’heure. Le lendemain matin, Suzanne apprenait la mort du comte de Zimmermann[1].

À cette époque, elle avait déjà commencé à prendre le nom de madame de Morency, — dont elle signa plus tard ses romans. Elle était alors dans tout l’éclat de sa beauté, et lorsqu’elle passait en caraco de satin bordé d’hermine, avec un de ces jolis chapeaux-casques à la mode, il était impossible de ne pas se retourner pour la voir et pour la suivre, — ne fût-ce que des yeux.

  1. Suisse, incarcéré après le 10 août.