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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/389

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BACULARD D’ARNAUD.

également le plus rude emprunteur qui se pût voir, et l’on a prétendu qu’il n’y avait guère de citoyen en France qui ne fût son créancier pour la somme d’un petit écu. Chamfort, allant plus loin, affirme qu’il devait trois cent mille francs en pièces de six sous. Le café de la Régence était d’ordinaire le lieu où l’auteur des Épreuves du sentiment levait ses contributions.

La Révolution le surprit en pleine vieillesse, mais toujours actif, toujours écrivant et toujours larmoyant. On ne savait plus son âge, il tournait au patriarche ; on l’avait surnommé l’Ancêtre de la littérature. Pourtant il prenait encore des airs de jeune homme. Il fut incarcéré pour une belle action, qu’on est heureux de rencontrer dans son existence un peu dégradée : il avait donné asile à un émigré, et il comparut devant le tribunal révolutionnaire, qui l’acquitta dans un jour d’indulgence.

En 1800, je retrouve Baculard d’Arnaud dans le café-restaurant de madame Simard, à l’entrée de la rue Mouffetard. Il a quatre-vingt-cinq ans environ, il marche un peu courbé, mais son intelligence n’a pas subi d’altération visible. Il parle beaucoup et se tient ordinairement assis dans le comptoir, à côté de la limonadière ; il cause de ses voyages, de sa gloire, de l’ingratitude du siècle ; il se vante un peu, mais on le laisse dire. Les musiciens et les officiers de la 96e lui offrent quelquefois un petit verre de liqueur qu’il accepte.

Quelquefois aussi madame Simard l’invite à dîner, lui et sa femme. Sa femme est la pétulance même ; mais comme elle a beaucoup voyagé, beaucoup vu,