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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/43

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LINGUET.

Il existe un portrait de Linguet, par Saint-Aubin, d’après un dessin de Cochin. Le critique des Mémoires secrets (tome XIII), en rendant compte du salon de 1775, s’arrête devant le portrait de l’égoïste Linguet, qu’il trouve très-ressemblant : « Son air roide, dit-il, le caractérise à merveille. »

Voltaire et Beaumarchais portaient leur esprit sur leur figure ; ils l’affichaient hardiment, courageusement ; c’étaient bien là les gens de leur haine et de leur gaieté. Ces deux têtes vives, qui ont des regards si agressifs, une bouche si preste, une oreille si éveillée, je les aime. Voltaire et Beaumarchais possédaient toutes les roueries, et ne se faisaient pas faute d’user de toutes, excepté de la rouerie du visage ; celle-là, ils la dédaignaient, ils n’en voulaient pas. Linguet est le premier qui ait appliqué sur sa physionomie ce masque immobile et comme plâtré que devait encore perfectionner M. de Talleyrand. Tout le feu de sa pensée, il le contenait avec soin jusqu’au moment calculé de l’explosion ; — jusque-là il avait la dignité glaciale, le geste court, la rare, la voix aigre.

Je suis peu apte à me prononcer sur ses mérites d’avocat ; je sais seulement que lui et Beaumarchais (ce nom, à propos de Linguet, revient continuellement et tout naturellement se placer sous la plume) introduisirent une véritable révolution dans le barreau, en substituant aux formes habituelles de la discussion des matières judiciaires une sorte d’éloquence bâtarde, originale, spirituelle, empruntée à la littérature de bas lieu, et qui fut, depuis, d’un si funeste exemple au Palais.

Ses habitudes étaient celles d’un homme de tra-