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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/64

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OUBLIÉS ET DEDAIGNÉS.

reste, il regardait la tragédie française comme la farce la plus complète qu’ait pu inventer le genre humain. » On comprend que l’auteur du Sopha dut bien vite devenir l’homme de Mercier, qui depuis exalta souvent son talent et son caractère.

Les premières années de Mercier furent employées de la sorte à s’introduire dans le monde littéraire et à s’y créer des relations. Il gravit l’escalier sombre de la rue Plâtrière, et causa quelques minutes avec Jean-Jacques Rousseau, qui le prit pour un espion de la police. Il hanta le café Procope, et y acquit de bonne heure l’habitude de pérorer bruyamment à propos de tout. Au café Procope, il y avait la chambre des communes et la chambre haute, comme en Angleterre : ce fut dans la chambre des communes qu’il rencontra le poëte La Louptière et qu’il fit connaissance avec lui. La Louptière était le plus indigent et le plus honnête des auteurs ; il se contentait, par jour, d’une tasse de café au lait dans laquelle il trempait un morceau de pain. Touché de sa détresse, Mercier lui proposa une fois à dîner ; à quoi le poëte répondit humblement : « Je vous remercie, monsieur, j’ai dîné hier. »

Il connut aussi dans sa jeunesse le musicien Rameau : « Un grand homme sec et maigre, qui n’avait point de ventre et qui, comme il était courbé, se promenait toujours les mains derrière le dos pour faire son aplomb ; il avait un long nez, un menton aigu, des flûtes au lieu de jambes, la voix rauque et l’humeur difficile. » Il connut encore le neveu de Rameau, moitié abbé, moitié laïque et qui vivait dans les cafés.