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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/73

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MERCIER.

liste et fondai les Annales patriotiques. Ah ! le beau journal ! quel feu ! quel style ! quelle logique ! C’était le soufflet de forge de nos armées naissantes. Je le rédigeais de moitié avec un charmant garçon nommé Carra, qui n’avait que le tort d’être timoré. Au bout de quelque temps, aidé de mon éditeur, il m’arracha la plume des doigts, sous prétexte que j’allais trop loin. Du reste, je ne lui en veux pas. Il est mort sur l’échafaud, et moi je suis arrivé tout droit à la Convention. — À la Convention ? — Oui : Mercier le dramaturge est devenu Mercier le député, le député de Seine-et-Oise. Mais alors, révolté des excès démagogiques que j’avais chaque jour sous les yeux, je rompis avec les jacobins. Je m’étais trompé, je l’avouai ouvertement : j’avais pris la populace pour le peuple, cette affreuse populace, insatiable de sang, et qui fit l’horrible commentaire de cette phrase de Montaigne : « La populace, par tous les pays, déchiquète les cadavres et s’en met jusqu’aux coudes. » Quand le mensonge était à la tribune et le crime dans le fauteuil, que Robespierre était le seul orateur qui eût le droit de se faire entendre, je me souviens qu’un jour il osa comparer aux Romains ses complices sanguinocrates. Alors, moi, les apostrophant, je leur criai de toutes mes forces : Non, vous n’êtes pas des Romains ! La sonnette de Collot-d’Herbois, furieuse, s’agitait sur ma tête. J’ajoutai : Vous êtes l’ignorance personnifiée ! »

À son tour le neveu de Rameau leva les yeux sur Mercier comme pour s’assurer qu’il avait bien réellement encore la tête sur les épaules. Celui-ci continua : « Une autre fois, pendant que l’on débattait la proposition de ne pas traiter avec l’ennemi tant