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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/74

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

que celui-ci occuperait le territoire français, je m’écriai : Avez-vous fait un pacte avec la victoire ? Bazire me répondit : « Nous en avons fait un avec la mort ! » Tel était l’exécrable langage des scélérats coiffés de laine. Je les ai vus tous ces meneurs de peuple, tous ces remueurs de systèmes. J’ai vu Poultier, moine, joueur de gobelets, stentor de spectacles forains, acteur chez le Grimacier, puis enfin, pour couronner tant de gloire, représentant du peuple. J’ai vu Henriot le domestique, Hébert l’escroc, Sergent Agate, Jacob Dupont, qui se vanta publiquement à la tribune d’être un athée, et qui demanda à installer une chaire d’athéisme sur la place de la Révolution. J’ai entendu David, peintre du roi et barbouilleur de la République, crier à tue-tête : « Tirez, tirez à mitraille sur tous les artistes, vous êtes sûr de ne tuer aucun patriote parmi ces gens-là ! » Que n’ai-je pas vu enfin et que n’ai-je pas entendu ? Toutes les grandes scènes historiques m’ont trouvé au premier rang des spectateurs. Que de visions flamboyantes et sinistres ont passé devant mes yeux ! Une entre autres, dont je me souviendrai toujours. C’était le lendemain des massacres de septembre ; je descendais à pas lents la rue Saint-Jacques, immobile d’étonnement et d’horreur, surpris de voir les cieux, les éléments, la cité et les humains tous également muets. Déjà, deux charrettes pleines de corps morts avaient passé près de moi : un conducteur tranquille les menait, en plein soleil et à moitié ensevelis dans leurs vêtements noirs et ensanglantés, aux plus profondes carrières de la plaine de Montrouge que j’habitais alors. Une troisième voiture s’avance… Un pied dressé en l’air sor-