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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/413

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mesme ville de Marseille. Cettuy-cy combattoit non seulement la medecine ancienne, mais encore le publique et tant de siecles auparavant accoustumé usage des bains chauds. Il faisoit baigner les hommes dans l’eau froide, en hyver mesme, et plongeoit les malades dans l’eau naturelle des ruisseaux. Jusques au temps de Pline, aucun Romain n’avoit encore daigné exercer la medecine ; elle se faisoit par des estrangers et Grecs, comme elle se fait entre nous, François, par des Latineurs : car, comme dict un tres-grand medecin, nous ne recevons pas aiséement la medecine que nous entendons, non plus que la drogue que nous ceuillons. Si les nations desquelles nous retirons le gayac, la salseperille et le bois de-squine, ont des medecins, combien pensons nous, par cette mesme recommandation de l’estrangeté, la rareté et la cherté, qu’ils facent feste de nos choux et de nostre persil : car qui oseroit mespriser les choses recherchées de si loing, au hasard d’une si longue peregrination et si perilleuse ? Depuis ces anciennes mutations de la medecine, il y en a eu infinies autres jusques à nous, et le plus souvent mutations entieres et universelles, comme sont celles que produisent de nostre temps Paracelse, Fioravanti et Argenterius : car ils ne changent pas seulement une recepte, mais, à ce qu’on me dict, toute la contexture et police du corps de la medecine, accusant d’ignorance et de piperie ceux qui en ont faict profession jusques à eux. Je vous laisse à penser où en est le pauvre patient ! Si encor nous estions asseurez, quand ils se mescontent, qu’il ne nous nuisist pas, s’il ne nous profite, ce seroit une bien raisonnable composition, de se hazarder d’acquerir du bien sans se mettre en danger de perte. Aesope faict ce