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Page:Montesquieu - Deux opuscules, éd. Montesquieu, 1891.djvu/28

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MONTESQUIEU

la décadence commence sur-tout dans le tems des plus grands succès qu’on ne peut avoir ni maintenir que par des moyens violens.

On sait que c’est une chose particulière aux Puissances fondées sur le Commerce & sur l’industrie, que la prospérité même y met des bornes. Une grande quantité d’or & d’argent dans un Etat, faisant que tout y devient plus cher ; les ouvriers se font payer leur luxe & les autres Nations peuvent donner leurs marchandises à plus bas prix.

Autrefois la pauvreté pouvoit donner à un Peuple de grands avantages : voici comment.

Les Villes ne se servant dans leurs guerres que de leurs Citoyens, les Armées de celles qui étoient riches étoient composées de gens perdus par la mollesse, l’oisiveté, & les plaisirs ; ainsi elles étoient souvent détruites par celles de leurs voisins qui, accoutumés à une vie pénible & dure, étoient plus propres à la guerre & aux exercices militaires de ces tems-là. Mais il n’en est pas de même aujourd’hui que les Soldats, la plus vile partie de toutes les Nations, n’ont pas plus de luxe les uns que les autres, qu’on n’a plus besoin dans les exercices militaires de la même force & de la même adresse, & qu’il est plus aisé de former des troupes réglées.

Souvent un Peuple pauvre se rendoit formidable à tous les autres, parce qu’il étoit féroce, &