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Page:Montesquieu - Deux opuscules, éd. Montesquieu, 1891.djvu/54

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XXIV

Si les grandes conquêtes sont si difficiles, si vaines, si dangereuses, que peut-on dire de cette maladie de notre siècle qui fait qu’on entretient par-tout un nombre[1] desordonné de troupes ? elle a ses redoublemens & elle devient nécessairement contagieuse, car si tôt qu’un Etat augmente ce qu’il appelle ses forces, les autres soudain augmentent les leurs, de façon qu’on ne gagne rien par là que la ruine commune. Chaque Monarque tient sur pied toutes les Armées qu’il pourroit avoir si les Peuples étoient en danger d’être exterminés, & on nomme Paix cet état[2] d’effort de tous contre tous. Aussi l’Europe est-elle si ruinée, que trois Particuliers qui seroient dans la situation où sont les trois Puissances de cette Partie du Monde les plus opulentes, n auroient pas de quoi vivre. Nous sommes pauvres avec les richesses & le commerce de tout l’Univers, & bientôt, à force d’avoir des soldats, nous n’aurons plus que des soldats, & nous serons comme des[3] Tartares.

  1. Nous sommes dans un cas bien différent de celui des Romains qui désarmoient les autres à mesure qu’ils s’armoient. (M.)
  2. Il est vrai que c’est cet état d’effort qui maintient principalement l’Equilibre parce qu’il erreinte les grandes Puissances. (M.)
  3. Il ne faut pour cela que bien faire valoir la nouvelle invention des Milices & les porter au même excès que l’on a fait les troupes réglées. (M.)