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Page:Montesquieu - Deux opuscules, éd. Montesquieu, 1891.djvu/62

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Quoique la politesse semble être faite pour mettre au même niveau, pour le bien de la paix, le mérite de tout le monde, cependant il est impossible que les hommes veuillent ou puissent se déguiser si fort, qu’ils ne fassent sentir de grandes différences entre ceux à qui leur politesse n’a besoin d’accorder rien, et ceux à qui il faut qu’elle accorde tout ; il est facile de se mettre au fait de cette espèce de tromperie, le jeu est si fort à découvert, les coups reviennent si souvent, qu il est rare qu’il y ait beaucoup de dupes.

Ce qui fait que si peu de gens obtiennent la considération, c’est l’envie démesurée que Ton a de l’obtenir, il ne nous suffit pas de nous distinguer dans le cours de notre vie, nous voulons encore nous distinguer à chaque moment, et pour ainsi dire en détail ; or c’est ce que les qualités réelles, la probité, la bonne foi, la modestie, ne donnent pas : elles font seulement un mérite général, mais il nous faut une distinction pour l’instant présent ; voilà ce qui fait que nous disons si souvent, un bon mot qui nous déshonorera demain, que, pour réussir dans une société, nous nous perdons dans quatre, et que nous copions sans cesse des originaux que nous méprisons.

D’ailleurs, dans l’envie que nous avons d’être considérés, nous ne pesons pas, mais nous comptons les suffrages : pour imposer à trois sots, nous avons la hardiesse de choquer un homme d’esprit,