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Page:Montesquieu Esprit des Lois 1777 Garnier 4.djvu/42

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De l’esprit des Lois,

trop crédules sur des choses que Dieu a certainement faites, si elles ont été dans l’ordre de ses desseins, on ne laisse pas d’en tirer de grandes lumieres sur les mœurs & les usages de ces temps-là.

Quand on jette les yeux sur les monumens de notre histoire & de nos lois, il semble que tout est mer, & que les rivages mêmes manquent à la mer[1] : tous ces écrits froids, secs, insipides & durs, il faut les lire, il faut les dévorer, comme la fable dit que Saturne dévoroit les pierres.

Une infinité de terres que des hommes libres faisoient valoir[2], se changerent en main-mortables : quand un pays se trouva privé des hommes libres qui l’habitoient, ceux qui avoient beaucoup de serfs prirent ou se firent céder de grands territoires, & y bâtirent des villages, comme on le voit dans diverses chartres. D’un autre côté, les hommes libres, qui cultivoient les arts, se trouverent être des serfs qui devoient les exercer : les servitudes rendoient aux arts & au labourage ce qu’on leur avoit ôté.

  1. Deerant quoque littora Ponto. Ovid. Liv. I.
  2. Les Colons mêmes n’étoient pas tous serfs : voyez la loi XVIII & XXIII, au cod. de agricolis & sensitis & colonis, & la XX du même titre.