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Page:Moran - Pourquoi le mort jouait-il du piano, 1944.djvu/3

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■ NICOLE MORAN ■
Pourquoi le mort
JOUAIT-IL DU PIANO ?
Roman complet inédit


CHAPITRE PREMIER

Deux heures du matin sonnaient à l’église Saint-Eugène, quand j’arrivai devant ma maison. La mise en page d’une « dernière heure » particulièrement chargée m’avait retenue beaucoup plus tard qu’à l’habitude, cette nuit-là, au marbre du journal auquel je collaborais.

Je me sentais lasse, angoissée ; une crainte indéfinissable m’étreignait, que je ne pouvais mettre sur le compte du tragique attentat qui venait de constituer le fond de mon article, car j’en avais vu d’autre dans toute ma carrière de reporter !

La concierge étant sourde, avait coutume — ce qui était bien agréable pour une noctambule comme moi — de laisser la porte ouverte en permanence. J’entrai. L’escalier était noir et par une de ces coïncidences fâcheuses, la minuterie ne fonctionnait pas. À tâtons, je gravis les étages. À mesure que je montais, ma nervosité croissait…

Le silence, les ténèbres auxquelles j’étais cependant accoutumée, ne rentrant généralement qu’aux alentours d’une heure du matin, n’étaient pas, ce soir, de mon goût. J’étais, en somme, exactement dans l’état d’une personne qui pressent quelque catastrophe.

Je glissai ma clé dans la serrure. La porte s’ouvrit avec son petit crissement habituel. Je demeurai quelques secondes sur le seuil, dans une sorte d’expectative, puis, j’entrai enfin et un peu fébrilement, cherchai le commutateur.

La lumière jaillit. Je ne pus retenir un cri…

Là devant moi, à le toucher, un homme était assis devant mon piano, ses mains posées sur le clavier… Pourtant, il ne jouait pas… Il ne pouvait plus jouer… Cet homme était mort… Assassiné !

Un instant, je demeurai hébétée, comme hypnotisée. Je fus sur le point d’appeler au secours, mais je ne sais quelle force m’en retint…