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Page:Moran - Pourquoi le mort jouait-il du piano, 1944.djvu/4

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Rassemblant tout mon courage, je m’approchai et le regardai. C’était un individu d’une quarantaine d’années, vêtu avec une certaine recherche, au visage glabre et bronzé, aux traits réguliers. Ses mains, quoique d’aspect rude, carrées, attestaient cependant des soins d’une manucure…

Il était demeuré légèrement penché en avant, le front portant contre le pupitre, comme s’il se fut endormi ; mais il avait derrière la tête, juste à la base du crâne, une profonde blessure dont le sang avait coulé, se répandant sur ses vêtements, maculant les touches du piano, la banquette, le tapis… Cela faisait comme une large tache brune.

À cet instant, je remarquai sur le sol, à droite de la banquette, une arme que je connaissais bien : une sorte de hache en silex taillé, que j’avais rapportée de Polynésie, lors d’un grand reportage, quelques années plus tôt… Cette hache avait été décrochée de la panoplie qui se trouvait là, par le criminel et c’était elle qui avait servi à donner la mort.

Subitement alors, je réalisai tout ce que ce drame mystérieux offrait, pour moi, de dangereux, d’inquiétant… Si on allait m’accuser ? Que pourrais-je dire pour ma défense ? J’imaginais toutes les questions que la police ne manquerait pas de me poser… Quel était cet homme ? Comment avait-il pu pénétrer chez moi, s’installer ainsi devant mon piano pour y trouver la mort ? Qui l’avait tué ? Et pourquoi ? Autant de questions auxquelles il me serait difficile de répondre… Je me sentis brusquement anéantie, accablée…

La première chose à faire était évidemment d’alerter la police, et sans plus tarder, je téléphonai au Commissariat du Faubourg Montmartre.

Dix minutes plus tard, le bruit d’un car stoppant devant la maison m’informa que la police arrivait. J’ouvris ma porte avec précipitation, comme délivrée d’un fardeau. Des pas lourds montèrent les marches, trébuchant dans l’obscurité, avec des jurons étouffés. Enfin, dans la pénombre, je distinguai les silhouettes de trois agents précédés d’un homme en civil.

— C’est ici qu’il y a eu un crime ? s’enquit ce dernier en m’apercevant.

— Oui, Monsieur, répondis-je… Entrez…

Avec des regard inquisiteurs, ils pénétrèrent dans la pièce. Je sentais leurs yeux attachés sur moi avec une insistance gênante… Naturellement, avant de rien savoir, ils allaient, d’emblée, me soupçonner !

Sans rien dire, ils s’avancèrent jusqu’au seuil du studio et s’arrêtèrent pour contempler la scène.

Un moment, ils demeurèrent silencieux, enfin le civil m’adressa la parole :

— Inspecteur Delbarre, fit-il d’un ton un peu sec.

— Nicole Jeantet…

Il daigna seulement se découvrir et posa son chapeau sur un meuble, puis, les mains profondément enfoncées dans les poches de son imperméable, il se mit lentement à évoluer dans la pièce.

— Comment l’avez-vous découvert ? fit-il brusquement en se tournant vers moi.