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Page:Morice - Aux sources de l'histoire manitobaine, 1907.pdf/88

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général dans cette province. Un vent de démence parut souffler sur les têtes les plus solides ; les journaux crièrent à l’assassinat, les hommes publics de race anglaise jurèrent vengeance ; la mort de Riel et de ses lieutenants fut résolue dans les loges, et, le croirait-on ? le grave juge Wood, dans son allocution aux jurés qui avaient à décider du sort d’un de ces derniers (Ambroise Lépine), eut l’audace blasphématoire de comparer Scott, le révolté parjure, à Jésus-Christ immolé par les Juifs[1] !

Pourquoi cette tempête et ces incroyables excès ? Un mot de réponse explique tout : Thomas Scott était orangiste.

Or qu’on ne se méprenne pas sur mes sentiments au sujet de cette misérable affaire : au risque de froisser des susceptibilités respectables, je ne puis m’empêcher d’admettre que Riel eût mieux fait d’empêcher cette exécution. La manière maladroite dont on l’opéra ne fit que la rendre plus odieuse. Mais dire que Scott fut « assassiné », parler du « meurtre » de Scott, c’est faire preuve ou bien d’une ignorance lamentable du véritable état des choses, ou bien d’un fanatisme contre lequel toute représentation serait impuissante.

Pour ceux qui se trouvent dans le premier cas, je déclare donc que l’exécution de Scott, quoique regrettable à bien des points de vue, fut parfaitement légale, je dirais presque légitime. Le premier avancé découle naturellement de la régularité juridique du gouvernement provisoire. Sa légalité une fois admise, il s’ensuit qu’il avait le droit de pourvoir à sa propre sécurité en se débarrassant de ceux qui attentaient à sa vie. Autrement, le gouvernement qui fit plus tard périr Riel sur l’échafaud était coupable d’assassinat, puisque le crime de l’accusé était identique dans les deux cas. Dire que Scott fut assassiné, c’est ou bien nier qu’il eût pris les armes contre l’autorité constituée, ce que personne ne peut oser ; ou bien prétendre qu’en mars 1870 il n’y avait point de gouvernement à la Rivière-Rouge ; que c’était en vain que l’ex-gouverneur avait chargé les représentants du peuple de s’en former un ; que ceux qui suivirent ses instructions agirent irrégulièrement ; et que les autorités impériales et fédérales eurent elles-mêmes tort de reconnaître le gouvernement provisoire en traitant officiellement avec ses délégués, et même en chargeant Riel (comme le fit sir Georges Cartier) de

  1. Preliminary Investigation, etc., p. 120