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Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/205

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rigidement son devoir, pendant toute la journée… Et quel devoir, Grand Dieu ! Que de douleurs, que de colères, que de malédictions sa vue fait surgir !… Un contrôleur, — et cela soit dit sans comparaison aucune, mon cher Dipanon, — un contrôleur se frotte les yeux, il a peur de rencontrer le nouveau sous-préfet qui sans doute cherche à s’attribuer une supériorité ridicule, étant son ancien dans le service, de deux ou trois laides années. Il en a entendu dire tant de singularités de ce prétentieux sous-préfet, lors de son administration à Sumatra, n’est-il pas vrai ? Ou bien encore, ce jour là, il est chargé de mesurer des terrains, et il se tâte, il chancelle entre son honnêteté… — mon cher Declari, vous êtes militaire, et par conséquent vous n’êtes pas obligé de savoir qu’il existe des contrôleurs honnêtes ; — il balance donc entre cette honnêteté et la crainte que tel ou tel chef lui reprenne son cheval gris pommelé, le meillenr trotteur du pays ! Ce jour là, encore, peut-être, lui faut-il répondre catégoriquement : oui ou non, à une missive numérotée.

En un mot, le matin, au réveil, le monde vous tombe sur le cœur… et c’est un poids bien lourd pour un cœur, quelque solide qu’il soit.

Le soir, il y a trève. On se repose.

Il y a dix heures pleines, entières, entre le moment présent et le moment où vous remettrez votre habit. Dix heures ! Trente six mille secondes, pendant lesquelles vous avez le droit de vivre et d’être un homme. Cela sourit à tout le monde. C’est le moment où j’espère mourir… De la sorte j’arriverai là-bas, la bouche en cœur, et l’air gracieux. C’est le moment où ma femme retrouvera dans mes traits un souvenir