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Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/221

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façon. Dès qu’un homme est mort, on le regrette, on le pleure, on vante ses grandes vertus, vertus que nul ne lui soupçonnait de son vivant. La raison de ces regrets, et de cette admiration se trouve tout simplement en ceci : il ne peut plus barrer la route à personne. Tous les hommes sont plus ou moins rivaux, ou concurrents. Nous avons tous une marotte, primer et rabaisser quiconque peut nous gêner. Il ne serait ni adroit, ni de bon goût de s’y prendre autrement, et d’énoncer franchement sa pensée ; et même, quand nous ne dirions que la vérité pure et simple, on finirait par ne plus ajouter foi à nos paroles. Il faut donc chercher un biais, et voir à s’y prendre finement. Ainsi, Declari, quand vous dîtes : le lieutenant Guêtre est un bon soldat ; sur ma foi, c’est un bon soldat ; je ne pourrai jamais assez répéter que le lieutenant Guêtre est un bon soldat !… vous ajoutez :

Mais, c’est un mauvais théoricien !…

Est-ce vrai, Declari ?

— Moi ! Mais jamais de la vie je n’ai vu, ni connu un lieutenant, portant le nom de Guêtre !…

— Eh bien ! Inventez-en un.. et dites cela de lui.

— Allons ! Soit ! Je l’invente, je le crée, et je dis cela de lui.

— Parfait. Cela posé, savez-vous ce que vous avez fait là ? Vous vous êtes tout simplement mis sur un piédestal, mon cher Declari ; c’est comme si vous aviez dit : moi, je suis à cheval sur la théorie. Croyez-moi, mes amis, nous ne valons pas mieux les uns que les autres. Je parle de moi, comme de vous. Oui, certes, nous n’avons guère le droit de nous insurger contre un homme méchant, les meilleurs d’entre nous ayant toujours un pied dans le mal !