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Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/314

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Le fiscal, lui-même, ce chef indigène qui, près le conseil du pays, occupait les fonctions d’accusateur public, n’entrait chez Havelaar, que le soir, sans suite, et en cherchant à ne pas être aperçu.

Cet homme qui avait pour mission d’empêcher les vols, d’arrêter les voleurs, se glissait doucement, à pas de loup, comme s’il eut été lui-même un des voleurs poursuivis, dans la maison où il n’entrait que par la porte de derrière ; et cela, après s’être assuré qu’il ne s’y trouvait personne pouvant le trahir et l’accuser plus tard d’avoir fait son devoir.

Était-il étonnant que Havelaar eut la tristesse dans l’âme, et que Tine eût, plus que jamais, besoin d’entrer dans sa chambre, pour lui donner du courage, quand elle le voyait assis, réfléchissant, la tête dans ses mains.

Et pourtant, pour lui, la plus grande difficulté ne se trouvait pas dans la frayeur de ceux qui vivaient à ses côtés, ni dans la lâche trahison de ceux qui avaient invoqué son assistance.

Non, au besoin il faisait justice, tout seul ; il marchait en avant, avec ou sans secours.

Il la rendait parfois malgré ceux-là, même qui la demandaient et qui la réclamaient.

Il connaissait son influence sur les masses ; il avait le pouvoir de ranimer leurs cœurs abatardis, quand ces misérables opprimés, appelés pour répéter à haute voix, devant le tribunal, les accusations qu’ils lui avaient murmurées, tête à tête, le soir ou la nuit, hésitaient et reculaient devant leur propre voix !

La force de ses paroles chassait la terreur que la vengeance future du chef du district, ou du Prince-Régent, leur inspirait.