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Page:NRF 19.djvu/249

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CORRESPONDANCE 247

nouvelle de regarderie monde » et qu' « il est désormais impos- sibles tous ceux qui l'ont lu de penser comme ils l'auraient fait s'ils ne l'avaient pas lu ». C'est exactement ce que je dirai de Marcel Proust. Comme cet oculiste dont il parle dans sa Pré- face au livre de Morand, Tendres Stocks, Proust a fait subir à nos yeux une opération salutaire, et un monde nouveau, bien diffé- rent de celui auquel nous étions habitués, nous est apparu, singulièrement attachant et « parfaitement clair ». C'est dire que Proust, comme Einstein, a fait une œuvre géniale (il faut entendre que sa nouveauté est variée, profuse, profonde) et si, au lieu de le rapprocher de tel peintre ou de tel musicien de génie, je l'ai rapproché d'un savant, c'est que j'estime qu'A la Recherche du Temps perdu, — et ceci n'a pas été suffisamment mis en lumière, sauf peut-être par Jacques Boulenger — est en même temps qu'une œuvre d'art, une œuvre de science, une de ces œuvres dont on peut dire, ainsi que l'a fait Merejkowski des livres de Dostoïevski, qu'elles font penser « à cette union nouvelle de l'art et de la science que les plus grands artistes et les plus grands savants ont pressentie, et qui n'a pas encore de nom » (M. Merejkovski signale à ce propos certaines poésies de Gœthe et quelques dessins de Léonard de Vinci). Proust — n'oublions pas qu'il est, comme Flaubert, fils d'un médecin, d'un clinicien réputé, le professeur Proust — a d'ailleurs par- faitement conscience de ce caractère de son œuvre, si j'en juge par une lettre de lui publiée dans les Annales, où il déclare que son « instrument préféré de travail est le télescope », et qu'on a eu tort de croire, parce qu'il disait « je », qu'il se bornait à « s'analyser, au sens individuel et détestable du mot », alors qu'il cherche « à découvrir des lois générales ». Henri Poincaré a dit — je le rappelle puisque Proust parle de télescope — que l'astronomie nous a fait une âme capable de comprendre la nature. C'est cette âme qui m'apparait chez un Proust comme chez un Einstein. L'un et l'autre ont le sens, l'intuition, la compréhension des grandes lois naturelles. (Je comparerai encore Proust, si vous le voulez, à un histologiste maniant non plus un télescope, mais un scalpel extraordinairement acéré).

Maintenant, on peut fort bien ajouter, je crois, que le monde Proustien, où le temps joue un si grand rôle, est un monde à quatre dimensions, comme le monde Einsteinien de la relativité

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