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248 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

restreinte, ou que Proust, comme Einstein, a tenu compte, dans sa description du monde, de décimales jusqu'ici négligées. On peut dire avec M. Allard que « si la notion de relativité morale peut être déduite d'une œuvre d'imagination et de psycho- logie », c'est « de celle de Marcel Proust où les points de vue sont multipliés à l'infini, où l'indépendance des sentiments à l'égard des mœurs est rendue sensible, où les terres inconnues de l'inconscient sont réduites à une ceinture mince comme une ligne d'horizon. » Il est encore possible de faire un rapproche- ment entre cet Univers Einsteinien de la relativité généralisée dont la courbure varie en chaque point et le monde — extérieur ou intérieur — infiniment changeant et nuancé que nous dépeint Marcel Proust. Enfin, ceux qui savent ce qu'Einstein entend par « mollusque » ou mieux « pieuvre de référence » (à savoir, comme le dit à peu près M. Gaston Moch, « des axes de coordonnées qui ne sont plus des droites ni des courbes, mais des filaments continuellement agités en tous sens et qui se tordent comme les bras d'une pieuvre ») verront peut-être dans la phrase de Proust, avec ses incidentes, ses parenthèses, ses tirets, ses innombrables propositions subordonnées et ses mul- tiples images à facettes, quelque chose d'analogue. Ce sont là des analogies, des images — je l'entends bien ainsi — qui ne sautent pas aux yeux de purs lettrés, mais qui s'imposent, je crois, à ceux qui sont un peu moins anachroniques et savent, au xx e siècle, un peu d'algèbre et de physique mathématique. Elles ne sont pas plus ridicules et elles sont peut-être un peu moins forcées et un peu plus inévitables que tant de comparai- sons sentant l'huile que nous infligent, à chaque ligne, bien des ouvrages contemporains que je ne serais pas embarrassé de citer.

J'approuve tout à fait Gide lorsqu'il met Proust seul dans son temps et lorsqu'il déclare que nul écrivain ne nous a plus enri- chis. Il n'a peut-être pas tout à fait tort en ajoutant : « Lorsque nous lisons Proust, nous commençons de percevoir brusque- ment du détail où ne nous apparaissait jusqu'alors qu'une masse. C'est, me direz-vous, ce qu'on appelle : un analyste. Non : l'analyste sépare avec effort : il explique, il s'applique : Proust sent ainsi tout naturellement. Proust est quelqu'un dont le regard est infiniment plus subtil et plus attentif que le

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