Aller au contenu

Page:NRF 19.djvu/664

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

662 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sion qu'elles laissaient sur mon cœur. Aussi ne les ai-je pas distinguées \ »

Fournier aperçoit un inconvénient grave pour lui dans toute opération de discernement ou même d'abstraction ; elle isole, elle brise un contact, pense-t-il. Et c'est de contact avec les choses, avec les gens qu'il a d'abord besoin : « Puisque l'ignorance qui accepte est à mon avis plus près de la vérité que n'importe quoi, et puisque, selon toi, l'ignorance est la source des émotions infinies (je n'avais pu formuler que par erreur une telle opinion que toute ma nature démentait), je te demande : Pour- quoi ne pas se laisser aller tout de suite à cette ignorance- là 2 ? » Et dans la même lettre : « Ne rien — même au fond — mépriser. S'y fondre, s'y confondre, s'y mêler. Y conformer sa pensée. Et la perdre ailleurs, le lendemain. Il n'y a d'atroce dans la vie que notre, nos façons de la voir — quand nous y tenons. »

Au fond, c'est sa vocation de romancier qui se révèle à Fournier, déjà, au travers de son goût pour l'ignorance. S'il se dérobe à toute perception et à toute énonciation du général, c'est parce qu'il entend s'établir sur le plan même de la vie et dans une sorte de commun niveau avec les êtres particuliers.

« Il n'y a d'art et de vérité que du particulier 5 », écrit- il. Et déjà, bien plus tôt : « Je ne crois qu'à la recherche longue des mots qui redonnent l'impression première et complète. » « J'ai toujours désiré quelque chose qui touche (dans le sens de toucher à l'epauie), qui arrête et qui évoque 4 . » Et ailleurs encore : « Je puis, des années, avoir conçu les idées les plus claires, elles ne me sont rien tant que je ne les ai pas senti passer de mon intellect à

��i. Lettre du 9 novembre 1906.

2. Lettre du 19 février 1906.

3. Lettre du 23 septembre 1905.

4. Lettre du 15 août 1906.

�� �