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Page:NRF 19.djvu/665

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ALAIN-FOURNIER 663

cette partie de moi où les choses sont plus obscures et impossibles à exprimer sinon par l'énoncé difficile, ému, surhumain de tout leur détail \ »

Il réclame le droit d'aller trouver chaque être, à sa place, sans aucune intention ni ambition préalables, et simple- ment pour l'y vivifier de son amour et de son imagination : « Je crois que toute vie vaut la peine d'être vécue. On les évalue, on méprise les unes, on glorifie les autres, parce que peut-être on en fait arbitrairement les parties d'un tout, d'une société, d'un monde idéal, qui n'a pas plus de raison d'être sous le soleil que tel ou tel autre 2 . »

Déjà l'on a vu comment il fait sortir et pour ainsi dire engendre au courant de la plume des personnages à la fois précis et mystérieux, que sa lettre m'apporte fragilement, comme enrobés encore de sa prédilection. Il y aurait de longs passages exquis à citer.

Toute rencontre l'émeut, toute vie entr'aperçue ; il la reconstruit aussitôt, dans son paysage, sous sa lumière, avec sa vibration ; il s'attendrit sur elle, il épanche sur elle le flot de son admiration, pour mon goût un peu trop compatissante et aveugle. Je lui reproche de temps en temps son excès de sensibilité, que j'appelle sans ménage- ment de la sensiblerie. Il se gendarme, comme si je vou- lais tarir une source en lui.

C'est vrai, pourtant, à cette époque, qu'il a l'émotion un peu facile devant tout ce qui se présente avec humilité ou insignifiance; les profondeurs qu'il veut y voir, je n'y com- prends rien. Je suis froissé par sa tendance à tout transfi- gurer ; je ne sais pas y reconnaître ce don prodigieux qui est en train de lui venir, de rendre à chaque objet sa dose latente de merveilleux.

Lui, pourtant (c'est la seconde des découvertes qu'il fait

��1. Lettre du 21 avril 1906.

2. Lettre du 23 septembre 1905.

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