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Page:Nantel - À la hache, 1932.djvu/86

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À LA HACHE

Il sort la rondelle bleue de sa blague, la frotte sur son pantalon et me la présente.

Remplissons maintenant la carte d’identité, pour la « filière » du bureau-chef, à Grand’Mère.

— Votre âge, Monsieur, s’il vous plaît ?

— J’vas avoir 71 ans c’t’hiver… J’cré que c’est en décembre… oui… décembre… Si j’me rappelle ben, j’sus arrivé l’deux. La mère a m’a toujours dit l’deux. À d’vait l’savoir…

— Marié ?

— Hein ? Marié ? Si vous appelez ça marié, avoir eu trois femmes. Arthémise, six enfants ; Laura, ane ben gentille, quand j’y pense, trois filles ; et ma Zéphérine, cré gué… qui m’en a tourné sept… Prenez-vous les p’tits enfants itou ? J’en ai rien que soixante-huit…

— Catholique ?

— Me d’mandez-vous ça pour m’insulter ? C’est moé qu’a logé l’premier curé de Saint-Ignace, pendant deux ans. Et pour rien, si vous voulez l’savoir. J’étais bedeau, sarvant d’messe et fossoyeur. Oui, j’sus catholique, et romain, par dessus l’marché… gros comme le bras.

Je conduis l’aïeul à sa future demeure, tout à côté de la masure du forgeron. Il jase, gesticule et crache copieusement. Ses yeux voient une chenille, tapon de soie qui rampe, sur une gaule séchée.