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Page:Necker - Réflexions présentées à la nation française sur le procès intenté à Louis XVI - 1792.pdf/20

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où un Monarque n’étoit rien qu’en apparence, où la Royauté même se trouvoit hors de place, où le Chef du Pouvoir Exécutif ne pouvoit discerner, ni ce qu’il étoit, ni ce qu’il devoit être, ou il étoit trompé jusques par les mots, et par les divers sens qu’on pouvoit leur donner, où il étoit Roi sans aucun ascendant, où il occupoit le Trône sans jouir d’aucun respect, où il sembloit en possession du droit de commander, sans avoir le moyen de se faire obéir, où il étoit successivement, et selon le libre arbitre d’une seule Assemblée délibérante, tantôt un simple Fonctionnaire public, et tantôt le Représentant héréditaire de la Nation ? Comment pourroit-on exiger d’un Monarque, mis tout-à-coup dans les liens d’un système politique, aussi obscur que bisarre, et finalement proscrit par les Députés de la Nation eux-mêmes ; comment pourroit-on exiger de lui d’être seul conséquent au milieu de la variation continuelle des idées ? Et ne seroit-ce pas une peine extrême de juger un Monarque sur tous ses projets, sur toutes ses pensées, dans le cours d’une révolution tellement grande, qu’il auroit eu besoin d’être en accord parfait, non-seulement avec les choses connues, mais encore avec toutes celles dont on auroit vainement essayé de se former à l’avance une juste idée ? Sur-tout, ne seroit-ce pas une incompréhensible rigueur d’exiger d’un Prince, élevé selon les anciens principes d’une Monarchie, et d’une Monarchie existante depuis quatorze siècles, de s’unir sans contrainte et sans regret aux principes Républicains, introduits tout-à-coup au milieu de la France ? Ce seroit imiter l’impitoyable dureté du Peuple de Rome, qui, dans les jeux du Cirque, exigeoit des gladiateurs de tomber encore avec grace, après avoir été frappés du coup qui les privoit de la vie.

Cependant, le passage subit des idées Monarchiques aux principes Républicains, ce passage au-dessus des forces humaines, quand on le demande à un Roi, n’étoit pas encore la seule transition violente à laquelle le Monarque François avoit besoin de se soumettre, pour se trouver au courant des opinions nouvelles. Il eût fallu que, témoin du rapide progrès des idées Philosophiques, il pût y conformer ses sentimens et y adapter sa conscience ; il eût fallu, qu’à l’aspect des rigueurs et des vengeances dont on prenoit l’habitude, il cessât d’être bon et compatissant ; enfin il eût fallu, peut-être, qu’il se défiât plus promptement des liens de la reconnoissance, et qu’il oubliât de bonne heure les droits que ses premiers bienfaits sembloient lui assurer sur le cœur des François, et des François, sur-tout, amis d’une liberté, qu’on ne peut désunir de ses sentimens et de ses sacrifices.