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Page:Necker - Réflexions présentées à la nation française sur le procès intenté à Louis XVI - 1792.pdf/21

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Qu’au milieu, cependant, d’un pareil bouleversement de toutes les idées et de toutes les opinions, qu’au milieu d’un bouleversement si général, opéré dans l’espace de trois années, et à l’aspect des décombres de tout genre dont le Monarque étoit environné, il eût formé des vœux secrets pour une meilleure situation ; et que mettant par écrit ses pensées, on en eût trouvé les vestiges sur quelques papiers saisis au fond de sa retraite solitaire ; où seroit l’homme assez barbare, pour transformer en délits politiques ces mouvemens intérieurs, ces sentimens obscurs, qu’un Dieu juste a daigné placer sous la seule inspection de son infinie bonté ? Ah ! si nous nous jugions mutuellement sur de pareils indices, si nous en avions le pouvoir, c’est à nous haïr, c’est à nous persécuter, que nous consommerions notre vie.

Ces réflexions générales s’appliquent avec bien plus de force au Chef d’un grand Empire, et à un Monarque, sur-tout, jetté par la fortune au sein d’une révolution sans pareille, et où toutes sortes d’intérêts, tous les genres de craintes ou d’incertitudes, ont dû successivement agiter son esprit. Un être doué d’une prévoyance sans bornes, auroit pu, seul, être certain de se conduire à chaque instant de la manière la plus conforme à des circonstances inouïes, et dont l’histoire du monde ne présente aucun modèle. Et cependant LOUIS XVI auroit eu cette réunion de facultés surnaturelles, il auroit été secondé par les conseils les plus sages et les plus lumineux, que sa réputation encore, n’auroit pu résister à un plan d’attaque si artistement préparé, si constamment suivi, et auquel on vient de donner la dernière main, en ne permettant plus qu’une sorte d’Écrits, et en livrant toutes les opinions à un seul langage et à une seule direction. Un Prince doué de toutes les perfections, un nouveau Marc-Aurèle, reparoissant tout-à-coup sur la terre, ne pourroit résister à une pareille ligue, et à une semblable coalition.

Que seroit-ce, si, par une révolution complète dans les idées politiques, un Monarque étoit mis eu jugement après l’extinction absolue de la Royauté ? Tous les sentimens accumulés par le temps, contre les Rois en général, tous ces sentimens animés par la première exaltation de la liberté et prenant au même instant un libre cours ; tous ces sentimens d’irritation viendroient se réunir et se confondre dans la personne du dernier des Rois d’une Nation, et ce Prince ne pourroit résister à l’impression d’un pareil mouvement ; il paroîtroit comme le type de la Royauté, et les fautes de tous ses prédécesseurs rejailliroient sur lui.

Ce n’est pas sans motifs, mais par l’autorité d’une loi fondée sur la raison éternelle, que, d’un commun consentement, on a considéré la personne des Rois comme inviolable ; on a senti