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Page:Necker - Réflexions présentées à la nation française sur le procès intenté à Louis XVI - 1792.pdf/22

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que leur tâche étoit au-dessus des forces humaines, et que dans un temps de révolution où ils pourroient se trouver seuls contre tous, il seroit trop aisé de leur trouver des torts, en reprenant, avec une intention ennemie, cette multitude innombrable d’actions qui composent leur vie publique. Voilà la véritable origine de l’inviolabilité des Monarques ; elle se perd dans l’obscurité des temps ; mais, c’est là que reposent les vérités simples, celles que les Nations, d’un commun accord, se sont transmises d’âge en âge. Et qu’on ne dise point, pour éviter l’application d’une loi si juste, qu’on ne dise point qu’un Roi, déchu de sa Couronne, n’est plus alors inviolable ! Sans doute, il ne l’est plus, pour toute la partie de ses actions postérieure à cette époque ; mais si on le rendoit responsable, après sa déchéance, de la conduite qu’il auroit tenue pendant son règne, l’inviolabilité d’un monarque n’auroit alors aucun sens, et ce principe, universellement consacré, se trouveroit sans application ; car ce n’est pas dans le temps qu’un Prince est sur le Trône, ce n’est pas dans le temps où sa volonté est un des élémens de la puissance publique, que l’on peut l’accuser et le poursuivre[1].

L’inviolabilité des Rois se rapporte encore à une considération importante, à l’impossibilité de les faire juger par leurs pairs, et j’explique ce mot selon l’esprit de la loi, en appellant leurs pairs des hommes instruits par l’expérience et par une parité de situation des dangers et des séductions dont les Princes sont environnés, les hommes instruits de même de la foiblesse des moyens de résistance, que leur ont ménagés la nature de leur éducation et l’habitude de toute leur vie.

L’inviolabilité des Rois se rapporte aussi à l’impossibilité de les faire juger par des hommes, dont l’impartialité soit certaine ; car, dans le cours d’un long règne, le Chef de l’État, le Prince duquel émane une multitude innombrable de decisions, a dû nécessairement blesser une infinité de personnes, ou dans leur amour-propre, ou dans leurs intérêts ; et telle est l’étendue de la circonférence du Pouvoir Suprême, telle est l’immensité de ses relations, que les Rois ne connoissent jamais tous ceux qui directement ou indirectement, ont eu des motifs pour se plaindre de leur autorité ; ainsi le droit de récusation, cette Égide si necessaire aux accusés, est presque nul entre les mains d’un Roi.

Que, si maintenant on veut particulariser ces principes géné-

  1. Voici les propres paroles de l’Acte Constitutionnel de la France.

    » Après l’abdication expresse ou légale, le Roi sera dans la classe des Citoyens, et pourra être accusé et jugé comme eux, pour les actes postérieurs à son abdication. »