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Page:Necker - Réflexions présentées à la nation française sur le procès intenté à Louis XVI - 1792.pdf/30

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repentirs. Je ne présente pas ici des idées spéculatives. Qu’on lise dans l’histoire de la Maison de Stuart, rédigée par un écrivain philosophe, l’impression convulsive que fit sur tous les cœurs la dernière catastrophe de l’infortuné Charles I. Qu’on y arrête, si l’on peut, son attention[1], et que l’on se demande ensuite si, dans le rapport de nos sentimens, un Roi n’est qu’un homme ; s’il n’est qu’un homme, surtout lorsqu’il fut si long-tems environné de notre amour, lorsqu’il fut si long-tems le signe de tous nos liens. Ah ! qu’on lise le plus affreux des récits, et qu’on essaye ensuite de considérer sans émotion les idées funestes auxquelles on voudroit accoutumer la Nation Françoise. Oui, qu’on le lise cet affreux récit, et qu’on ose ensuite confier aux passions exaltées du moment présent, le jugement d’un Prince réduit par la fortune à l’abandon le plus absolu. Ce Monarque, dont vous poursuivez la destinée, conserve le calme qui sied à l’innocence ; et dans son humiliante captivité, il n’a point encore perdu le sentiment de fierté, dont ne doit jamais se départir celui qui régna pendant vingt ans sur la plus grande des Nations, celui qui se vit dès son enfance le premier des François ; mais si la crainte et l’abattement valoient mieux auprès de vous, et s’il vous falloit des prières, si vous vouliez des supplications, voyez ce ralliement universel de toute l’Europe,

  1. Je fais transcrire ici un seul paragraphe copié littéralement sur la traduction française de l’ouvrage de M. Hume, page 174 de l’Édition, in-4o., Volume second.

    » Il est impossible de représenter la douleur, l’indignation et l’étonnement qui succédèrent, non-seulement dans les spectateurs, qui parurent comme inondés d’un déluge de tristesse, mais dans la Nation entière, aussitôt que la nouvelle de cette fatale exécution y fut répandue. Jamais un Monarque, dans le plein triomphe du succès et de la victoire, ne fut plus cher à son Peuple, que ce malheureux Prince l’étoit devenu au sien, par ses infortunes, sa grandeur d’ame, sa patience et sa piété. La violence du retour au respect, à la tendresse, fut proportionnée à la force des illusions qui avoient animé tous ses sujets contre lui. Chacun se reprochoit avec amertume, ou des infidélités actives, ou trop d’indolence à défendre sa cause opprimée. Sur les ames plus Foibles, l’effet de ces passions compliquées fut prodigieux. On raconte que plusieurs femmes enceintes se délivrèrent de leur fruit avant terme ; d’autres furent saisies de convulsions ; d’autres tombèrent dans une mélancolie, qui les accompagna jusqu’au tombeau. Quelques-unes, ajoute-t-on, perdant tour soin d’elle-même, comme si la volonté leur eut manqué de survivre à leur Prince Bien-Aimé, quand elles en auroient eu le pouvoir, tombèrent mortes à l’instant. Les chaires même furent arrosées de larmes, non subornées, ces chaires, d’où tant de violentes imprécations et d’anathêmes avoient été lancée contre lui. En un mot, l’accord fut unanime à détester ces parricides hypocrites, qui avoient déguisé si long-tems leurs trahisons sous des prétextes sanctifiés et qui par ce dernier acte d’une atroce iniquité, jettoient une tache ineffaçable sur la Nation ».