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Page:Necker - Réflexions présentées à la nation française sur le procès intenté à Louis XVI - 1792.pdf/29

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sentiment sans modèle, de l’erreur qui la fit prendre un instant pour la Reine, par des hommes dont les regards égarés sembloient chercher une victime ; espérant alors, par un dévouement suprême, que son sacrifice pourroit suffire à leur aveugle fureur. Ah ! sans doute le Ciel, en qui seul elle a mis sa confiance ; le Ciel témoin des vertus de sa vie, s’est chargé de sa récompense, et la terre ne peut rien contr’elle. Mais cette ardente amitié d’une sœur, dont tous les sentimens sont si purs, cette ardente amitié pour un frère dont elle ne s’est jamais séparée, dont elle a suivi toutes les actions, dont elle a connu toutes les pensées, cette amitié si constante, n’est-elle pas un nouveau témoignage des vertus de celui qui en est l’unique objet ? Hélas ! je crois le voir, cet infortuné Prince, jetant un regard plein de douceur sur les deux compagnes de sa destinée, et leur disant d’une voix émue… si ce Peuple que j’ai tant aimé est injuste envers moi, vous ne le serez pas, je l’espère… vous avez lû plus d’une fois dans le fond de mon cœur, et vous savez si j’ai voulu le bien… dites-le quelque jour ; ils vous croiront peut-être quand je ne serai plus…

Ô François ! au nom de votre gloire passée, au nom de votre ancienne renommée, hélas ! peut-être encore au nom de cette sensibilité, de cette générosité, qui firent si long-tems votre plus bel ornement ; mais surtout au nom du ciel, au nom de la pitié, repoussez tous ensemble les projets de ceux qui cherchent à vous entraîner au dernier terme de l’ingratitude, et qui veulent vous associer à leurs violentes passions et à leurs sombres pensées. Un Roi, vous disent-ils, un Roi n’est qu’un homme, et l’on ne doit à sa destinée aucune sollicitude particulière. Cette assertion n’est point vraie ; elle ne l’est point sous le rapport de nos sentimens. Un Roi dans l’écroulement de sa fortune, un Roi, lorsqu’il parvient au comble du malheur, nous retrace tous les intérêts qui nous ont unis à lui. Il nous a paru long-tems, par son pouvoir tutélaire, une partie morale de nous-mêmes, et son humiliation semble nous appartenir. Nous ne saurions oublier encore qu’un Monarque héréditaire se trouve au timon de l’État, non par sa volonté, non par sa confiance en ses propres talens, mais par la condition de sa naissance et par le devoir que ce jeu du hasard lui impose. Il ne peut donc vouer à notre service que les moyens et les facultés dont l’a doué la nature ; et par cette raison nous contractons l’engagement tacite de condescendre à ses erreurs et de compatir à ses foiblesses. Les momens d’enthousiasme ou de passion nous distraient de ces pensées, et semblent déranger, pour un tems, le cours naturel de nos sentimens ; mais au terme extrême des vengeances, les regards se tournent en arrière, et là commencent les regrets et les