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Page:Nerciat - Le Diable au corps, 1803.djvu/800

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LE DIABLE AU CORPS.


de son ennemi. La lame vole en éclats. D’officieux spectateurs désarment l’Italien éperdu de rage. Bellone en même-tems saisit aux cheveux le féroce marin. Il a perdu, au jeu qu’on sait, les trois-quarts de ses forces ; la déesse, à l’aide du vin et du même passe-tems, a peut-être doublé les siennes. Elle est outrée de la déloyauté d’un homme dont elle a d’ailleurs le chevaleresque préjugé d’abhorrer l’anti-Française patrie. La voilà donc qui, maîtresse de Sir John, le courbe et le frappant impitoyablement sur le dos à grands coups de bouclier, le force de tomber à plat ventre. Pour lors (sans lâcher les cheveux par lesquels au contraire elle l’avait soutenu de peur qu’en tombant il ne se meurtrît le visage) cette redoutable redresseuse de torts met fiérement un pied sur les reins du terrassé matelot, et promene sur les assistans un regard martial, qui semble leur demander s’ils croyent le brutal assez puni de son indécente incartade.

Presque toutes les femmes s’étaient sauvées dans le sallon en jettant les hauts cris : Paillasse ne se trouvait nullement amusé de cette bagarre. La chûte et la fâcheuse attitude du vaincu lui causait un mal de cœur violent, qui le rendit encore coupable d’une incongruité dégoûtante. On le livra à des valets qui l’emporterent ; on nettoya la piece ; on enleva les gondoles : tout se répara ; les esprits se calmerent : au bout de quelques minutes, Sir John fut totalement oublié.