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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/124

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TANTE GERTRUDE

— Je ne sais pas ce qui s’est passé entre Paulette et le sire de la Triste-Figure — c’est ainsi qu’elle désignait parfois le régisseur — bien sûr ils se sont chamaillés ! et en ce moment ils se boudent : ça n’est pas difficile à voir ! Silence complet ! on se croirait dans une cellule de chartreux !

La vieille fille n’était pas au bout de ses étonnements. Comme elle se disposait à monter à sa chambre, ce soir-là, — Jean Bernard s’était retiré ainsi que Thérèse, — sa nièce, qui s’apprêtait à sortir en même temps qu’elle lui déclara tranquillement :

— Tante Gertrude, vous pourrez écrire à votre colosse que je le remercie beaucoup, mais que je ne puis l’épouser.

— Ah bah !

Et Mlle de Neufmoulins fut si bouleversée qu’elle souffla la lampe qu’elle venait d’allumer, se plongeant du même coup dans l’obscurité. Furieuse de sa distraction, elle en rejeta toute la faute sur sa nièce, tandis qu’elle grattait avec rage la moitié d’une boîte d’allumettes, toutes plus ou moins rebelles. Lorsqu’elle eut enfin obtenu de la lumière, elle s’en servit pour dévisager Paulette, et la toiser des pieds à la tête.

— Et pourquoi ne peux-tu pas épouser ce monsieur ?

— Parce que… parce que je ne l’aime pas.

Paulette avait rougi en faisant cette déclaration, tandis que sa tante redoublait ses exclamations.

— Ah ! par exemple, ça c’est du nouveau. Quand je le disais que tu deviens sentimentale. Ma foi ! elle est bien bonne ! Est-ce que tu aimais ce gros poussah de Wanel ? et ce benêt de Lanchères ? Tu ne l’aimes pas ? la belle affaire ! Lorsque tu le connaîtras, tu l’aimeras, pardi ! Il a le sac, c’est le principal ! Avec tes goûts, c’est là l’essentiel, et ce que tu dois chercher par-dessus tout. En voilà des idées ! C’est bien sûr cette grande sotte de Thérèse qui t’a mis en tête ces nouvelles billevesées ?

— Non, dit tranquillement Paulette, ce n’est pas Thérèse. Je vous en prie, ma tante, n’insistez pas ; à aucun prix je n’épouserai M. Le Saunier.