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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/125

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TANTE GERTRUDE

— Ça prouve que tu deviens de plus en plus idiote. Réfléchis encore bien ; tu ne retrouveras jamais pareille occasion, c’est moi qui te le dis ! Et tu risques fort de ne pas te remarier, si tu attends un personnage que tu aimes et dont tu sois aimée ! Ma pauvre fille, ces choses-là n’existent que dans les livres ! et dans l’imagination d’un tas de « propres à rien » qui s’amusent à écrire ces sottises pour troubler des cervelles comme la tienne en leur promettant plus de beurre que de pain ! La nuit porte conseil, et j’espère bien que demain tu auras changé d’avis.

— Non, tante Gertrude, je vous dirai demain ce que je vous dis aujourd’hui.

— Bah ! je n’en crois rien. Allons, bonsoir ! tu as la tête à l’envers, ça se remettra. Je m’en vais, car je suis tellement furieuse en entendant toutes tes bêtises que je t’en dirais plus que je ne voudrais !

Et tante Gertrude se retira, non sans avoir claqué la porte avec une telle violence que toute la maison trembla.

Était-elle vraiment si furieuse, la vieille et originale châtelaine ? On ne l’eût pas cru en la voyant l’instant d’après, lorsqu’elle se fut bien assurée qu’elle était seule dans sa chambre, arpenter cette pièce à grands pas, en se frottant énergiquement les mains et en se marmottant in petto toutes sortes de réflexions.

Jean Bernard ne dormit pas beaucoup cette nuit-là, et lorsqu’il succomba à la fatigue, sur le matin, ce fut pour tomber dans un sommeil fiévreux, troublé par un rêve étrange et persistant.

Paulette se mariait, et lui, caché derrière un pilier, cherchait en vain à voir les traits de l’homme au bras duquel elle s’appuyait avec abandon… Chaque fois qu’il était sur le point de l’apercevoir, le visage dur et sarcastique de Mlle de Neufmoulins se dressait entre lui et l’inconnu, tandis qu’elle ricanait de sa voix moqueuse :

— À nous deux, Jean Bernard !

L’obsession était si forte que le jeune régisseur s’éveilla, baigné de sueur…