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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/142

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TANTE GERTRUDE

— Non, Paule, je ne puis accepter… l’honneur me le défend… Je dois vous laisser libre… il faut m’oublier…

— Ah ! vous ne m’aimez pas ! vous ne m’avez jamais aimée ! s’écria la jeune femme d’un accent déchirant, en se levant et en repoussant violemment Jean Bernard, qui était devenu livide à faire peur.

Un coup frappé à la porte du cabinet les fit soudain tressaillir.

— M’sieu Bernard, annonça la bonne du dehors, on vous demande au château. Mlle Gertrude veut vous parler tout de suite ; c’est fort pressé, a dit le domestique.

— Merci, Zoé, dites que j’y vais immédiatement.

Jean, qui était resté agenouillé auprès du fauteuil, se releva lentement et passa une main sur son front brûlant, comme s’il voulait rappeler ses idées confuses…

Il jeta un regard de commisération sur Paule qui, après l’avoir repoussé, était retombée affaissée sur le large divan contre la muraille et, le visage caché sous son bras, pleurait en silence, éfouffant ses sanglots. Un immense désir lui vint de la prendre dans ses bras, de l’emporter loin de l’Abbaye, dans un pays inconnu, d’unir sa destinée à la sienne, de lui consacrer sa vie entière, d’accepter cet amour si candidement offert, de lui révéler le mystère si soigneusement caché, de mettre à ses pieds ce beau titre de comtesse de Ponthieu dont elle était si digne aujourd’hui…

Mais la pensée des souffrances qui attendaient cette créature adorée, les misères auxquelles il la condamnerait en l’épousant fut plus forte et triompha de ce qu’il regardait comme un sentiment égoïste… Il la voulait riche… il la ferait heureuse en dépit d’elle-même et coûte que coûte !

Il se pencha sur la jeune femme et effleura d’un baiser la magnifique chevelure d’or… Puis, tremblant comme un homme qui vient de commettre un crime, il sortit sans se retourner.