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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/143

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TANTE GERTRUDE

CHAPITRE XIV


Le cœur de Jean Bernard battait d’une singulière émotion comme il franchissait, pour la dernière fois, pensait-il, le seuil du magnifique palais bâti par son oncle.

Tout en se dirigeant vers le cabinet où l’attendait la châtelaine, il jetait autour de lui un regard attendri, cherchant à fixer pour toujours dans son esprit l’image de ces lieux tant aimés, où il avait espéré rester longtemps encore et que la fatalité l’obligeait à quitter si soudainement.

Pendant le trajet de l’Abbaye au château, il avait eu le temps de recouvrer son sang-froid ; redevenu maître de lui-même, il se sentait fort contre la rude épreuve qu’il allait subir, contre le coup qu’il prévoyait.

Mlle de Neufmoulins, avec sa clairvoyance habituelle, se rendit compte de cette disposition lorsqu’elle vit entrer dans son cabinet celui qu’elle avait mandé en toute hâte.

— Vous savez pourquoi je vous ai fait appeler ? commença-t-elle en le toisant avec dédain.

— Je crois le savoir, mademoiselle, répondit Jean d’un ton poli et froid.

— Eh bien, si vous n’en êtes pas encore bien sûr, sachez-le tout de suite. J’ai à vous dire que vous êtes un drôle, monsieur Jean Bernard ! un véritable coquin, entendez-vous ? Plus ambitieux encore que les manants de votre espèce, ce n’est pas dans ma caisse que vous avez volé à pleines mains, vous avez visé plus haut. Voyant la naïveté, la bêtise de ma nièce, vous vous êtes dit que la conquête d’une telle sotte serait facile ! Alors vous avez fait la cour à la petite, sachant bien que si elle n’a pas le sou aujourd’hui, demain, lorsque sa vieille originale de tante aura tourné de l’œil, elle sera riche à millions ! Allons ! le plan était assez habile, avouez-le donc, monsieur Jean Bernard ?