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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/144

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TANTE GERTRUDE

Le jeune homme, toujours silencieux, s’était fait un visage impénétrable ; ses jeux, qu’il tenait obstinément baissés, ne laissaient point voir la lueur étincelante de ses prunelles enflammées ; il était debout, appuyé au dossier d’une chaise qui tremblait par instants sous la pression nerveuse de sa main crispée.

On eût pu croire devant son impassibilité que ce n’était pas à lui que s’adressaient les paroles insultantes de la vieille châtelaine. Celle-ci, assise au fond d’un large fauteuil, les bras croisés dans une attitude de défi, dévisageait le jeune homme, étonnée de ne pas le voir bondir sous les coups dont elle le fouaillait… Comme il se taisait toujours, elle continua sans pitié :

— Ah ! vous êtes un comédien habile, monsieur Jean Bernard ! il faut le reconnaître ! Vous avez su bien jouer votre rôle ! Vous vous y entendez à merveille pour faire vibrer la corde des beaux sentiments ! Aussi ma nièce s’y est-elle laissé prendre tout de suite ! Encore un peu, nous aurions juré que vous étiez un prince déguisé, tant vous avez su copier les dehors d’un grand seigneur ! Mais vous avez oublié la première qualité qui dénote le parfait gentilhomme et que vous ne posséderez jamais, monsieur mon intendant ! Vous avez oublié l’honneur !…

Cette fois, les yeux noirs se levèrent, laissant voir à la vieille fille leur regard enflammé.

— En êtes-vous bien sûre, mademoiselle ?

Jean parlait d’une voix grave et triste, d’un ton légèrement dédaigneux ; Mlle Gertrude, un peu interdite, ne trouva rien à répondre.

— Non, je n’ai jamais forfait à l’honneur, continua le jeune homme avec une telle fierté qu’il en imposa à son interlocutrice restée silencieuse. J’ai pu avoir un moment de faiblesse… je n’aurais pas dû me trahir… je n’avais pas le droit d’aimer Mme Wanel, et je devais avoir la force de taire cet amour… C’est mal à moi, je l’avoue. Quant aux vils sentiments que vous me prêtez, ma conduite me justifiera mieux que tous les arguments… Interrogez votre nièce ; elle-même vous dira ce qui s’est passé entre nous… Vous verrez alors