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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/146

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TANTE GERTRUDE

liez lui imposer un mariage qui lui paraît odieux… de quel droit, vraiment, exigez-vous pareille monstruosité ?

— Et de quel droit, s’il vous plaît, vous mêlez-vous des affaires de ma nièce et des miennes ? riposta Mlle Gertrude, qui avait retrouvé toute sa violence. Je ne sais pas pourquoi j’ai la patience de supporter pareil langage ! Vertudieu ! Qu’on me parle de la sorte, à moi, une Neufmoulins ? Et qui ?… un manant, un valet que je devrais faire chasser sur l’heure !

— Je vous éviterai cette peine, mademoiselle, répondit fièrement le jeune régisseur. Je vais partir ; mais, auparavant, je vous dirai tout ce que j’ai sur le cœur ! tout ce qui me brûle les lèvres depuis si longtemps ! Je vous dirai l’horreur que m’inspirent vos procédés pour l’enfant de votre frère !

— Tiens ! tiens ! Je ne serais pas fâchée d’entendre cela ! L’opinion d’un Jean Bernard sur ma conduite ! ce doit être assez curieux !

Et Mlle Gertrude, prenant son face à main, toisa le régisseur avec insolence, tandis qu’elle s’étendait complaisamment au fond de son fauteuil dans un calme affecté.

— Parlez donc, jeune homme, je suis tout oreilles !… Et d’abord, reprenons où nous en étions restés… Vous disiez que ma nièce était venue vous demander conseil ! Naturellement, vous l’avez encouragée à me résister, à refuser ce parti que je lui offrais pour vous épouser, vous, Jean Bernard ?

— Non !

Le régisseur avait mis une telle hauteur dans cette brusque et laconique réponse que Mlle de Neufmoulins le regarda avec une nouvelle attention.

— Non ! répondit-il au bout d’un instant de silence — et une expression de tendresse immense emplit soudain ses yeux noirs passionnés… sa voix se fit douce et triste… il parla lentement… — Mon amour est trop profond pour être égoïste… J’ai eu une seconde la vision du ciel… j’ai été ébloui par le bonheur… mais j’ai eu la force de