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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/147

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TANTE GERTRUDE

résister… Pauvre chère Paule !… Elle ne se doutera jamais de la grandeur de mon sacrifice… Je lui ai dit que je n’avais pas le droit, moi, le paria, le salarié, de prétendre à sa main… Je l’ai suppliée d’oublier… Et j’ai compris que je devais partir, ne jamais la revoir, ne plus entendre le son de sa voix… Elle est faite pour la fortune, le luxe, les honneurs… il faut la laisser à ce cadre d’or qui lui convient si bien !… La condamner à une vie de luttes et de misère serait un crime… je ne le commettrai pas… Mais elle va souffrir… elle m’aime, je le sais… Il faudra être bonne pour elle… il faudra lui donner un peu de cette affection, de ces caresses, dont elle a tant besoin !… C’est une enfant aimable et tendre…

Pour un observateur attentif, le visage de Mlle Gertrude eût offert un sujet d’études fort curieux en ce moment : des larmes, qu’elle essuyait rageusement, perlaient au bord de ses paupières, tandis qu’elle attachait sur le régisseur un regard hypnotisé ; ses lèvres s’agitaient comme pour parler, et sa bouche se tordait grimaçante, sous une émotion indéfinissable.

Mais, se reprenant soudain, et sans cesser d’examiner son interlocuteur, elle l’interrompit de sa voix mordante :

— Peuh ! comédie que tout cela ! On ne m’en fait pas accroire à moi ! Avouez tout simplement que lorsque la jeune belle vous a annoncé que je la chassais si elle n’épousait pas Le Saunier et que vous avez vu l’impossibilité de gruger la vieille tante, vous vous en êtes tiré comme vous avez pu !

Jean Bernard bondit sous cette nouvelle insulte. Il se redressa avec hauteur et, foudroyant la châtelaine de son regard fulgurant :

— C’en est trop à la fin ! s’écria-t-il, et vous abusez étrangement de votre situation. Si je n’ai pas accepté l’offre si généreuse de Mme Wanel, sachez que c’était uniquement pour lui permettre de reprendre auprès de vous la place qui lui convient.

— Eh bien ! monsieur, vous avez perdu votre temps, car je n’ai qu’une parole, et si ma nièce n’épouse pas celui que j’ai choisi pour elle, elle