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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/44

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TANTE GERTRUDE

Paulette qui, tout en écoutant sa tante, s’était dirigée vers la salle à manger, s’arrêta tout net.

— Oh ! tante Gertrude, est-ce possible ? tous les gens ne sont pas des voleurs.

— Si, ma nièce ! dans le monde, il n’y a que des voleurs et des volés ! et je ne serai pas de ces derniers !

— Pourtant, cela vaut encore mieux que d’être dans les premiers, fit remarquer Paulette, qui était enfin arrivée, suivie de sa tante, devant la table où le déjeuner était servi, et s’asseyait à sa place habituelle, après avoir adressé un signe d’amitié à une jeune fille vêtue de noir, qui se tenait debout à la fenêtre.

— Thérèse, viens te mettre à table et sers-nous, dit Mlle Gertrude à cette dernière.

Puis, sans interrompre ses doléances sur la mauvaise foi du genre humain, la vieille fille prit le plat de viande froide, et choisissant la plus grosse tranche, la déposa dans l’assiette de celle à qui elle venait d’ordonner de servir.

Sans s’inquiéter alors des dénégations de la jeune Thérèse, qui trouvait la part trop copieuse, elle se mit en devoir de servir sa nièce de la même façon.

Quant à elle, l’agitation lui ayant fait perdre sans doute l’appétit, elle repoussa son couvert et continua à exposer ses griefs à Mme Wanel.

Celle-ci, qui écoutait sans broncher ce déluge de paroles, finit par connaître la cause de la fureur de Mlle Gertrude : en vérifiant les comptes des fermiers, les livres du régisseur, etc., la nouvelle châtelaine de Neufmoulins s’était aperçue que depuis longtemps son frère avait été effrontément volé.

L’idée lui étant venue de jeter un coup d’œil sur ces paperasses la veille au soir, elle s’y était mise, aidée de Thérèse. À minuit, elle avait envoyé sa compagne se coucher, mais dans l’indignation des découvertes qu’elle faisait à chaque page, elle en avait oublié l’heure et le sommeil ; le matin l’avait trouvée encore assise à son bureau. Elle eût donné gros pour avoir là, sous la main, le mal-