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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/48

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TANTE GERTRUDE

— Merci, tante Gertrude.

Et, sans s’inquiéter de l’air renfrogné de sa tante, Paulette l’embrassa joyeusement sur les deux joues.

Une fois assise sur son siège, et après s’être bien assurée que sa compagne était installée confortablement, Mme Wanel lança au trot son élégant équipage, tout en bavardant sans relâche.

— Quel croquemitaine que ma tante ! si on ne la connaissait pas, on en aurait vraiment peur ! Heureusement qu’on sait à quoi s’en tenir, n’est-ce pas, Thérèse ?

La jeune orpheline sourit sans répondre, et une lueur d’attendrissement éclaira un instant ses yeux tristes.

Pendant ce temps, le « croquemitaine », comme disait Paulette, rentré dans la pièce qui lui servait de bureau, examinait attentivement une petite photographie, presque effacée, aux bords noirs, qu’elle avait trouvée dans un portefeuille de son frère.

Les traits durs de Mlle Gertrude, ses yeux perçants, sa bouche dédaigneuse, son front bas et têtu, tout en elle semblait lui mériter l’appellation donnée par sa nièce, et rien n’attirait la sympathie dans ce rude visage. L’extérieur et la tournure aussi étaient à l’avenant : très grande et très maigre, elle avait une façon d’agiter ses longs bras anguleux qui donnait à tous ses mouvements quelque chose d’étrange et de saccadé.

— Gertrude me fait toujours l’effet d’un grenadier en jupons, répétait son père, le colonel de Neufmoulins, lorsqu’elle était jeune et qu’il la voyait trotter, la tête haute, le pas vif et pressé, sans souci de sa coiffure négligée, de ses vêtements démodés, de son allure disgracieuse.

C’était aussi l’effet qu’elle produisait sur tout le monde.

Les paysans la craignaient, et les enfants se sauvaient lorsqu’ils l’apercevaient ou qu’ils entendaient sa voix grondeuse.

Tous auraient été bien étonnés s’ils avaient pu voir la vieille châtelaine, en cet instant où elle se