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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/78

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TANTE GERTRUDE

pour l’avoir trouvé ! Savez-vous rien de plus odieux ?

— Oui, répondit Jean d’un ton cassant. Je sais quelque chose de plus odieux ! C’est d’accabler sans pitié un pauvre être vaincu ! C’est d’abuser de sa supériorité pour écraser une faible victime qui ne peut pas se défendre.

Mlle de Neufmoulins tressaillit et ouvrit la bouche pour répondre sans doute vertement à cette sortie du régisseur ; mais, se ravisant soudain, elle ne dit mot, tandis qu’elle attachait sur le jeune homme un regard énigmatique.

Désormais Paulette n’eut plus à supporter de sa part aucune allusion blessante : la leçon avait porté.

Mme Wanel ne soupçonnait guère que Jean Bernard avait ainsi rompu une lance en son honneur. Elle le croyait sinon hostile, au moins peu disposé en sa faveur.

— Il est si puritain, ce M. Bernard, disait-elle un jour à sa tante qui s’étonnait de son empressement à fuir lorsqu’elle voyait arriver le régisseur, qu’il me fait peur ! Et puis, il semble si ennuyé de ma présence que je me reprocherais de la lui imposer. Ma petite personne n’a pas l’heur de lui plaire, j’en suis sûre ! Cause-t-il gaiement avec Thérèse, il suffit que je paraisse pour qu’il se taise. Pendant le dîner, la conversation devient-elle générale, il cesse de parler dès que j’y prends part à mon tour ! Ses yeux sont très doux lorsqu’ils se posent sur Thérèse… il ne me regarde jamais, ou alors c’est avec un air si dur, si glacial, que ça me fait froid dans le dos. Ne riez pas, ma tante, je vous assure que votre régisseur m’a prise en grippe !

Et Paulette avait une façon grave de hocher sa jolie tête blonde qui paraissait beaucoup amuser Mlle Gertrude.

L’amitié entre Thérèse, la jeune demoiselle de compagnie et Mme Wanel n’avait fait que grandir depuis les malheurs de cette dernière. Quoiqu’elles fussent du même âge, Thérèse semblait l’aînée de dix ans, et Paulette la consultait naïvement en maintes circonstances, recourant sans cesse à son obligeance.