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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/135

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fêtes à toutes les femmes d’une ville de garnison, sans faire un sou de dettes ; mais de tous ces beaux plans rédigés en poste, bien peu sont suivis ; car, en formant ces projets, on compte pour rien les événements qui dérangent et les défauts qui entraînent. Gustave, inspiré par ce génie des voyageurs, m’entretenait fort sérieusement de la résolution où il était de renoncer à toute espérance de plaire à madame de Verseuil, pour se maintenir en bonne intelligence avec son mari.

— D’ailleurs, ajoutait-il, je suis très-décidé à ne plus m’attacher à ces femmes dont la dépendance est telle, qu’on ne peut les aimer sans supporter une partie de leur esclavage, trembler devant un mari, en redouter les droits, ou, qui pis est, les partager : cela compose une existence misérable. D’ailleurs, se charger ainsi de la destinée d’une autre est une responsabilité trop grande, et le plaisir de posséder la plus belle femme du monde ne peut compenser le désespoir de causer son malheur.

— Voilà qui s’appelle raisonner à merveille, répliquai-je ; et si monsieur parvient à établir publiquement sa profession de foi en ce genre, il sera dans peu de temps aussi accueilli des maris que des femmes. Vraiment je plains autant que vous ces jeunes soupirants qui, favorisés sur un seul point, sont sacrifiés sur tous les autres ; et j’ai toujours pensé qu’à ce jeu de société, la dupe gagnait souvent plus que le fripon.

Je m’apprêtais à commenter longuement ce beau texte, lorsque mon maître m’interrompit tout à coup, en s’écriant :

— Eh ! mais, je ne me trompe pas, voilà son domestique !

Alors, montrant un courrier qui raccommodait la bride de son cheval :

— Postillon, dit-il, arrêtez : je veux parler à cet homme que nous venons de passer.

Le courrier s’approche de la voiture, Gustave l’accable de questions ; et nous apprenons qu’ayant été retenu à la dernière poste, par la faute d’un cheval rétif qui l’a renversé deux fois, M. La Pierre s’est vu forcé de retourner sur ses pas pour en prendre un autre, avec lequel il espère rejoindre bientôt la