Aller au contenu

Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
INTERROGATOIRE.

gémir dans cet état pour toujours ou du moins pour bien longtemps, mettaient souvent en défaut tout mon courage et toute ma philosophie. Le présent et l’avenir, ma propre situation et celle de tout ce qui m’était cher, ne me présentaient que des images affligeantes : ma patrie mise à feu et à sang et anéantie à jamais ; mes parents, mes amis, ou partageant mon sort, ou dépouillés de leur fortune, et traînant dans l’exil une existence malheureuse ; nulle nouvelle d’eux ; en un mot, l’univers hors des murailles de ma prison n’existant plus pour moi. La solitude et un affreux silence nourrissaient dans mon esprit une foule d’idées lugubres dont aucun objet extérieur ne détournait mon attention. Nous étions au cœur de l’hiver ; le soleil ne se levait qu’à neuf heures, il était pâle et couvert d’épais nuages ; les jours clairs étaient accompagnés d’un froid si excessif, que plus d’une fois je vis des corneilles volant dans l’air, geler tout à coup et tomber roides mortes. Les cris de ces oiseaux, extrêmement nombreux aux environs de la forteresse, étaient insupportables. Les froids excessifs se trouvaient suivis par des chutes des neiges qui tombaient en gros flocons quelquefois pendant plusieurs jours de suite, et rien alors n’était plus monotone et plus triste. A deux heures et demie après-midi, la demi-clarté du soleil cessait entièrement et faisait