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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/228

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AURORE

les vertus de tous ceux qui souffrent n’ont pas cessé de les parer. La façon dont ils honorent leurs pères et leurs enfants, la raison qu’il y a dans leurs mariages et dans leurs mœurs conjugales les distinguent parmi tous les Européens. Et encore s’entendaient-ils à se créer un sentiment de puissance et de vengeance éternelle avec les professions qu’on leur abandonnait (ou à quoi on les abandonnait) ; il faut le dire à l’honneur même de leur usure, que sans cette torture de leurs contempteurs, agréable et utile à l’occasion, ils auraient difficilement supporté de s’estimer eux-mêmes si longtemps. Car notre estime de nous-mêmes est liée au fait que nous puissions user de représailles en bien et en mal. Avec cela les juifs ne se sont pas laissés pousser trop loin par leur vengeance : car ils ont tous la liberté de l’esprit, et aussi celle de l’âme, que produisent chez l’homme le changement fréquent du lieu, du climat, le contact des mœurs des voisins et des oppresseurs ; ils possèdent la plus grande expérience pour tout ce qui est des relations avec les hommes et, même dans la passion, ils utilisent la circonspection de cette expérience. Ils sont si sûrs de leur souplesse intellectuelle et de leur savoir-faire que jamais, même dans les situations les plus pénibles, ils n’ont besoin de gagner leur pain avec la force physique, comme travailleurs grossiers, portefaix, esclaves d’agriculture. On voit encore à leurs manières qu’on ne leur a jamais mis dans l’âme des sentiments chevaleresques et nobles, et de belles armures autour du corps : quelque chose d’indiscret alterne