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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/229

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AURORE

avec une soumission souvent tendre, presque toujours pénible. Mais maintenant qu’ils s’apparentent nécessairement, d’année en année davantage, avec la meilleure noblesse de l’Europe, ils auront bientôt fait un héritage considérable dans les bonnes manières de l’esprit et du corps : en sorte que dans cent ans ils auront un aspect assez noble pour ne pas provoquer la honte, en tant que maîtres, chez ceux qui leur seront soumis. Et c’est là ce qui importe ! C’est pourquoi un règlement de leur cause est maintenant encore prématuré ! Ils savent le mieux eux-mêmes qu’il n’y a pas à songer pour eux à une conquête de l’Europe et à un acte de violence quelconque : mais ils savent bien aussi que, comme un fruit mûr, l’Europe pourrait, un jour, tomber dans leur main qui n’aurait qu’à se tendre. En attendant il leur faut, pour cela, se distinguer dans tous les domaines de la distinction européenne, il leur faut partout être parmi les premiers, jusqu’à ce qu’ils en arrivent eux-mêmes à déterminer ce qui doit distinguer. Alors ils seront les inventeurs et les indicateurs des Européens et ils n’offenseront plus la pudeur de ceux-ci. Et où donc s’écoulerait cette abondance de grandes impressions accumulées que l’histoire juive laisse dans chaque famille juive, cette abondance de passions, de décisions, de renoncements, des luttes, de victoires de toute espèce, — si ce n’est, en fin de compte, dans de grandes œuvres et de grands hommes intellectuels ! C’est alors, quand les juifs pourront renvoyer à de tels joyaux et vases dorés, qui seront leur œuvre, — les peuples européens d’expérience