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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/236

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AURORE

est foncièrement désordonné). —— Si un peuple de cette espèce s’occupe de morale : quelle sera la morale qui justement le satisfera ? Il voudra certainement avant tout que son penchant cordial à l’obéissance y paraisse idéalisé. « Il faut que l’homme ait quelque chose à quoi il puisse obéir d’une façon absolue » — c’est là un sentiment allemand, une déduction allemande : on la rencontre au fond de toutes les doctrines morales allemandes. Combien différente est l’impression que l’on ressent en face de toute la morale antique ! Tous les penseurs grecs, quelle que soit la multiplicité sous laquelle nous apparaisse leur image, semblent ressembler, en tant que moralistes, au maître de gymnastique qui apostrophe un jeune homme : « Viens ! suis-moi ! Abandonne-toi à ma discipline ! Tu arriveras peut-être alors à remporter un prix devant tous les Hellènes. » La distinction personnelle, c’est là la vertu antique. Se soumettre, obéir, publiquement ou en secret, — c’est là la vertu allemande. — Longtemps avant Kant et son impératif catégorique, Luther avait dit, guidé par le même sentiment, qu’il fallait qu’il y ait un être en qui l’homme puisse se confier d’une façon absolue, — c’était là sa preuve de l’existence de Dieu ; il voulait, plus grossier et pluspopulaire que Kant, que l’on obéisse aveuglément, non à une idée, mais à une personne, et, en fin de compte, Kant n’a pris son détour par la morale que pour en arriver à l’obéissance envers la personne : car c’est là le culte de l’Allemand, quelle que soit la trace imperceptible de culte qui soit restée dans sa religion. Les Grecs