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Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/194

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aussi devons-nous nécessairement devenir tous les jours plus dignes d’être interrogés, plus dignes d’interroger, et peut-être du même coup plus dignes — de vivre ?… Toutes les choses bonnes furent jadis des choses mauvaises ; tout péché originel est devenu vertu originelle. Le mariage, par exemple, sembla longtemps une atteinte au droit de la communauté ; on payait une amende pour avoir eu l’imprudence de vouloir s’approprier une femme (à cela se rattache par exemple le jus primæ noctis, aujourd’hui encore au Cambodge privilège du prêtre, ce gardien des « bonnes vieilles mœurs »). Les sentiments doux, bienveillants, conciliants, compatissants — qui plus tard atteignirent une valeur si haute qu’ils sont presque devenus « les valeurs par excellence » — longtemps n’attirèrent que le mépris : on rougissait de la douceur, comme on rougit aujourd’hui de la dureté (comparez Par delà le bien et le mal, aph. 260). La soumission au droit : — ah ! quelle révolte de conscience, chez toutes les races nobles du monde, quand il leur fallut renoncer à la vendetta pour se soumettre au pouvoir du droit ! Le « droit » fut longtemps un « vetitum », un forfait, une innovation ; il s’institua avec puissance, comme une puissance que l’on n’accepte que rempli de honte vis-à-vis