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Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/253

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240.

J’ai entendu de nouveau — et ce fut de nouveau comme si je l’entendais pour la première fois, l’ouverture des Maîtres Chanteurs, de Richard Wagner : c’est là un art magnifique, surchargé, pesant et tardif qui ose, pour être compris, supposer vivants encore deux siècles de musique ; et il est à l’honneur des Allemands qu’une pareille audace se soit trouvée légitime. Quelle richesse de sèves et de forces, que de saisons et de climats sont ici mêlés ! Cette musique vous a tantôt un air vieillot, et tantôt un air étrange, acide et trop vert ; elle est à la fois fantaisiste et pompeusement traditionnelle, quelquefois malicieuse et spirituelle, plus souvent encore âpre et grossière, — comme elle a du feu et de l’entrain et, en même temps, la peau flasque et pâle des fruits qui mûrissent trop tard ! Elle coule, large et pleine, puis c’est soudain un moment inexplicable d’hésitation, comme une trouée qui s’ouvre entre la cause et l'effet, une oppression de songes, presque un cauchemar ; — mais voici que déjà s’étend et s’élargit de nouveau le flot de bien-être, de bien-être multiple, de bonheur ancien et nouveau, et il s’y mêle largement la joie que l’ar-