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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/117

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— Vert ! vert ! ô mon Dieu ! et qu’est-ce qu’un ruban, vert ?…

— J’ai vu, me dit-elle… je vois… — Et sa main trembloit dans la mienne, comme si elle m’avoit avoué une faute ou raconté un malheur.

— Tu as vu, m’écriai-je !… tu verras !… infortuné que je suis !…

Tu verras !… le miroir, qui n’étoit pour toi qu’une surface froide et polie, te montrera ta vivante image. Sa conversation, muette mais animée, te répétera tous les jours que tu es belle, et quand tu reviendras au malheureux aveugle, il ne t’inspirera plus qu’un sentiment. Tu le plaindras d’être aveugle, parce que tu concevras que le plus grand des malheurs est de ne pas te voir. Que dis-je ! tu ne reviendras pas ! pourquoi reviendrois-tu ? quelle est la belle jeune fille qui aimeroit un pauvre aveugle !…

Ah ! malheur sur moi ! je suis aveugle !

En disant cela, je tombai sur la terre, mais elle me suivit en me pressant de ses mains, en liant ses doigts dans mes cheveux, en effleurant mon cou de ses lèvres, en gémissant comme un enfant. — Non, jamais, jamais je n’aimerai que Gervais. — Tu te félicitois hier d’être aveugle pour que notre amour ne s’altérât jamais ! je serai aveugle s’il le faut pour ne point laisser de souci à ton cœur. Veux-tu que j’arrache cet appareil ? Veux-tu que je brise mes yeux !…

— Horrible souvenir ! j’y avois pensé !…

— Arrête, lui dis-je, en saisissant violemment le rocher pour user sur lui l’excès de force qui me tourmentoit. — Nous parlons un langage insensé parce que nous sommes malades ; toi, de ton bonheur, et moi, de mon désespoir. — Écoute :

Je repris ma place, elle la sienne. Mon cœur étoit près de se rompre.

Écoute, continuai-je, — il est fort bien que tu voies