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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/143

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ils perdront toute leur puissance au moment où vous en serez séparés. »

En achevant ces paroles, le génie nous tourna le dos, et nous laissa plongés dans le plus profond étonnement.

Nous ne revînmes à nous que peu à peu, et sans nous communiquer nos premières réflexions qui s’arrêtèrent probablement sur la même idée. Le génie n’avoit disposé en notre faveur que de trois amulettes, et il étoit probable qu’il n’en possédoit pas davantage ; Ebid, qui n’avoit pas été appelé au partage, prendroit mal notre soudaine fortune, et peut-être il exigeroit de nous une nouvelle répartition qui nous seroit également funeste à tous, puisque la vertu de nos amulettes, exclusives à chacun de ceux qui venoient d’en être dotés, ne pouvoit se communiquer à d’autres. Un sentiment de justice naturelle révolteroit son cœur contre le caprice de cette destinée inégale et nous en feroit un ennemi toujours prêt à contrarier nos desseins et à troubler nos jouissances. Que vous dirois-je, seigneur ? Nous eûmes la cruauté d’abandonner cet innocent enfant qui n’avoit que nous pour appuis, en essayant de nous persuader réciproquement que le génie en prendroit soin, mais sans autre motif réel que la honteuse crainte de l’avoir à notre charge. Cette abominable action, qui devoit être l’éternel tourment de mon cœur, n’a pas encore été expiée par tous les maux que j’ai soufferts.

Nous marchâmes pendant quelques jours, en nous servant de ce qui nous restoit de nos provisions, et soutenus par les brillantes espérances que nous fondions sur nos talismans. Mahoud, qui étoit le plus laid de nous trois et qui voyoit d’avance toutes les belles soumises à son ascendant vainqueur, devenoit, à chaque pas, plus insupportable d’impertinence et de fatuité. C’étoit en vain que le ruisseau où nous allions puiser notre breuvage lui annonçoit insolemment deux fois par jour qu’il n’avoit pas changé de visage. L’insensé com-