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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/144

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mençoit à prendre plaisir à la reproduction de son image, et se pavanoit devant nous, dans ses grâces ridicules, de manière à nous inspirer plus de pitié que de jalousie. Pirouz, qui n’avoit jamais rien pu apprendre, tant il avoit l’esprit borné, n’étoit pas moins fier de sa science que Mahoud de sa beauté. Il parloit avec assurance de toutes les choses qui peuvent être soumises à l’intelligence de l’homme, et imposoit hardiment des noms baroques à tous les objets inconnus que nous présentoit notre voyage. Quant à moi, qui me croyois le mieux traité de beaucoup, parce que j’avois assez d’habitude du monde pour savoir déjà que toutes les voluptés de l’amour et toute la célébrité du savoir s’y achètent facilement au prix de l’or, je tremblois que mes frères ne fissent de leur côté les mêmes réflexions, et j’osois à peine me livrer au sommeil sans leur rappeler que nos amulettes perdroient toute leur valeur dans les mains de ceux qui s’en seroient emparés. Cette précaution même ne me rassuroit pas entièrement, et il m’arrivoit rarement de céder aux fatigues de la journée, sans avoir enfoui la mienne à l’écart dans le sable du désert, ou sous un lit de feuilles sèches. Pendant la nuit, le moindre bruit me réveilloit en sursaut ; j’éprouvois des inquiétudes qui ressembloient à des angoisses ; je me rapprochois furtivement de mon talisman, je le déterrois avec d’horribles battements de cœur et je ne dormois plus.

Ces préoccupations, qui nous étoient sans doute communes, avoient fait naître entre nous la défiance et la haine, et nous en étions venus au point de ne pouvoir plus vivre ensemble. Nous résolûmes de nous séparer et de marcher tous trois dans trois directions différentes, en nous promettant, de la bouche plutôt que du cœur, de nous retrouver un jour. Là-dessus, nous nous embrassâmes froidement, et nous nous dîmes un adieu qui devoit être éternel.

Le lendemain, je restai seul avec mes rêves, sans autre