Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/147

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dont nous nous sommes rendus maîtres. Cependant nous sommes vingt, nous avons vingt chameaux, et le traité que vous nous avez malicieusement imposé vous a rendu possesseur de la moitié de nos chameaux et de la moitié de notre trésor, tandis que la moitié de la charge d’un seul chameau nous est échue à chacun, comme si quelque privilège imprimé à votre front, de la main d’Allah, nous avoit livrés à vous en serviteurs et en esclaves. Les règles de l’équité naturelle vouloient que ces richesses fussent également divisées entre tous, et nous y consentirions encore, quoique votre orgueil et votre perfidie méritassent un plus rude traitement, si vous acceptez l’offre que nous vous faisons de la vingtième partie de nos charges. Autrement, nous examinerons la valeur de vos titres dans la sévérité de notre justice, et nous verrons s’il ne nous convient pas de vous mener prisonnier à Bagdad pour y rendre compte de l’origine de ce précieux dépôt, dont le secret est probablement caché dans la conscience de quelque assassin. »

Pendant qu’il parloit, j’avois réfléchi. Mon amulette, qui me donnoit la connoissance des trésors enfouis, ne me révéloit rien sur leurs maîtres légitimes, et j’étois, au reste, assez avancé dans l’étude de la politique pour ne pas espérer que les titres les plus sacrés prévalussent contre le fisc. L’immense fortune que je venois de découvrir et de jalonner me consoloit d’ailleurs aisément de la perte de quelques misérables millions, car je l’évaluois à l’équivalent de tout ce qu’il y a d’or en circulation sur la terre ; je me contentai donc de sourire avec toute la grâce dont j’étois capable, en méditant ma réponse :

« Eh quoi ! mes chers camarades ! m’écriai-je, une difficulté si légère a-t-elle menacé un moment de troubler notre union ? Je venois vous apporter moi-même la proposition que vous me faites, et le seul regret que j’éprouve est de ne vous avoir pas prévenus. Autant que